2015-2016
Me James O’Reilly
Me James O’Reilly : le précurseur
Par Mélanie Dugré, avocate
(Article diffusé le 2 septembre 2015)
C’est pour souligner une contribution exceptionnelle à la cause de la justice que le Conseil, avec l’appui de la Conférence des anciens bâtonniers, a décidé de remettre la Médaille du Barreau de Montréal à Me James O’Reilly lors de la Journée du Barreau, le 10 septembre 2015.
Pour la bâtonnière, Me Magali Fournier, « Me O’Reilly est un combattant. Son apport au développement du droit autochtone, jusqu’alors peu développé, fait de lui un pionnier et justifie à lui seul qu’on lui accorde la plus haute distinction du Barreau de Montréal ».
L’incroyable mission de James O’Reilly sur la planète du droit autochtone débute sur une patinoire où, plus jeune, il joue au hockey avec les Mohawks, sport qui lui permet de nouer de solides amitiés avec les membres de cette communauté. Né d’un père irlandais et d’une mère québécoise respectivement policier et enseignante, James fréquente l’école Loyola, avant de poursuivre ses études de droit à McGill et d’être admis au Barreau du Québec, en 1964. Le droit s’impose comme un choix naturel pour lui, un passionné de philosophie, de logique et d’histoire.
Après un bref séjour à Québec, au cours duquel il obtient un diplôme d’études supérieures en droit et travaille pour le gouvernement sur le projet des statuts refondus de 1964, il rentre à Montréal avec l’élue de son cœur pour rejoindre le cabinet Martineau Walker, où il a complété son stage. Dès son arrivée, il est approché par Andrew Delisle, chef de Caughnawaga, qui souhaite lui confier un mandat dans un dossier d’expropriation relatif à la voie maritime du Saint-Laurent, ainsi que pour la refonte de leurs règlements.
James O’Reilly plonge tête baissée, sans se douter que sa carrière vient de prendre son envol, direction planète autochtone. À cette époque, cette sphère du droit en est à ses balbutiements des temps modernes puisque les Autochtones commencent à s’organiser en diverses associations à travers le Canada. On voit notamment naître l’Association des Indiens du Québec, qui contribue à la renommée du Pavillon des Autochtones lors de l’Expo 67.
En 1966, James consacre 50% de son temps aux affaires autochtones, proportion qui atteint 100% en 1972, faisant de lui l’un des trois premiers avocats à se dévouer entièrement à ce type de dossiers. Au cours de ces six années, il parcourt le Canada et va à la rencontre des divers peuples autochtones à titre de conseiller juridique du comité national de recherches de l’organisation nationale des autochtones afin d’identifier et mieux comprendre leurs revendications.
En 1972, James doit se résigner à quitter Martineau Walker puisque le cabinet représente désormais les intérêts de la Société de développement de la Baie-James, contre laquelle les Autochtones s’apprêtent à mener un combat acharné dans le cadre des projets entrepris par Hydro-Québec. Les yeux de James O’Reilly brillent à l’évocation des moments forts de cette saga judiciaire et plus particulièrement de l’audition de la requête pour injonction interlocutoire devant le juge Malouf en 1973. James décide alors de faire entendre comme témoins plus de 35 Cris et Inuits qui ignorent tout de nos règles de droit et de la vie hors de leurs territoires. Certains, que notre alimentation rend malades, apportent avec eux de quoi se nourrir, comme en témoignent quelques phoques et oiseaux morts traînant dans les baignoires des salles de bain d’un hôtel. James O’Reilly se rappelle également de mémorables séances préparatoires des témoins avec Max Gros-Louis jouant le rôle du juge. La suite est passée à l’histoire puisque ces témoins défilent tour à tour devant la Cour, racontant leurs coutumes, leur culture et leur mode de vie de chasseurs et pêcheurs. Le juge Malouf accueille l’injonction, après avoir conclu que les Autochtones jouissent bel et bien de droits et non uniquement de privilèges. Ce jugement est infirmé par la Cour d’appel six jours plus tard et la Cour suprême, à trois juges contre deux, refuse d’entendre l’appel des Cris.
Suivent les longues, et parfois pénibles, négociations de la Convention de la Baie-James au cours desquelles James O’Reilly croise le fer avec John Ciaccia et se voit identifié comme passionaria de la souveraineté autochtone. La Convention de la Baie-James pave la voie à plus de 75 ententes entre les Autochtones, les gouvernements et des promoteurs, qui sont négociées et conclues au cours des années subséquentes.
À la fin des années 70 et au cours des années 80, James O’Reilly agit de façon plus officielle au nom des autochtones Mi’kmaq de Terre-Neuve et de l’Ouest. Dans le premier cas, il contribue à obtenir du gouvernement une reconnaissance des droits des Indiens et participe à la création d’une première réserve sur le territoire. Puis, en 1980, intrigué par les vieux traités de l’Ouest, James monte au front pour les Lubicons, une tribu d’Alberta qui attend depuis 48 ans le statut de réserve pour un territoire de 234 km carrés qu’elle n’a jamais cédé, mais que les pétrolières ont commencé à exploiter. Les procédures s’étirent sur plusieurs années et aboutissent en 1988 à un refus, par la Nation Lubicon, de reconnaître la compétence des tribunaux du Canada à se prononcer sur les droits des Autochtones. Pourtant, au cours des années 90, cinq jugements importants émanant de l’Ouest sont rendus en faveur des Autochtones, offrant un nouvel élan au mouvement et une ouverture à l’égard de leurs revendications.
Évidemment, James O’Reilly a joué un rôle de premier plan dans les événements entourant la crise d’Oka de l’été 1990. Dans sa foulée, il est devenu une véritable vedette médiatique et a fait l’objet de nombreux reportages et articles publiés et diffusés partout dans le monde. En réponse aux éloges, et aux critiques, il insiste à l’époque pour dire qu’il n’est qu’un fidèle messager, car il croit profondément au nationalisme autochtone, précisant que « la souveraineté, on la porte en soi ». Le magazine l’Actualité de novembre 1990 rapporte que « dans le club des inconditionnels de la cause indienne, peu de Blancs sont allés aussi loin que lui ».
Les développements survenus au cours des années 2000 confirment le devoir des gouvernements de consulter les Autochtones à l’égard des projets qui les concernent et impliquent leurs territoires, ainsi que leur obligation d’accommodement dans certaines circonstances. Malgré tout, James O’Reilly raconte un parcours parsemé de grandes passions, mais aussi d’amères défaites, notamment celle devant la Cour suprême en 2008, alors que le pays est plongé dans la crise financière. Interpellé sur la question des obligations fiduciaires du gouvernement à l’égard de l’administration des royautés reçues suite à l’exploitation des produits du pétrole sur les terres autochtones, le plus haut tribunal du pays statue que la responsabilité du gouvernement consiste à tenir compte de l’intérêt de tous les Canadiens, sans préférence à l’endroit des Indiens.
Le bureau de James O’Reilly est rempli des souvenirs des grands moments qui ont marqué son étonnante et atypique carrière. Des collages de caricatures publiées pendant la crise d’Oka, des cartes géographiques des immenses territoires autochtones en Amérique du Nord, une photo des membres du banc de la Cour fédérale siégeant directement sur la réserve Samson, entre Edmonton et Calgary, en 2000, des cadeaux offerts par les chefs de bandes, allant des costumes traditionnels aux objets symboliques. Et au milieu, trône ce personnage plus grand que nature qui a tant à raconter sur ses expériences de vie auprès de tous ces peuples méconnus des Blancs. James souligne que les Autochtones éprouvent un infini respect et un profond attachement envers leur territoire naturel; ils s’en considèrent les gérants plutôt que les propriétaires, la propriété étant pour eux une notion arrogante. Ce sont des individus avec une très grande spiritualité où les mondes parallèles et la puissance d’êtres supérieurs occupent une place importante. Ces peuples, chez qui l’influence des femmes est significative dans toutes les sphères de la communauté, sont définitivement guidés par des valeurs collectives plutôt qu’individuelles, dominées par la solidarité et le partage. Les Autochtones demeurent, pour James O’Reilly, une très grande source d’inspiration et de réflexion sur la vie et l’humanité.
Les piles de documents qui meublent le bureau de James O’Reilly confirment qu’il n’en a pas terminé avec la cause autochtone. Si son nom s’est assurément inscrit dans l’histoire à titre de précurseur, l’homme, lui, n’est pas encore prêt à passer au rang de légende et on n’a pas fini d’entendre parler de lui.